LETTRE DU CABINET – Mars 2015

LETTRE DU CABINET – Mars 2015

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Publications internes 19 Mar 2015

Des risques psychosociaux à la responsabilité des employeurs publics, le cas du harcèlement moral dans la fonction publique.

 

 La prise en compte des risques psychosociaux dans les collectivités territoriales relève des relations sociales mais également du contentieux administratif indemnitaire ou encore du  champ pénal.

 Tenant la responsabilité de l’administration susceptible d’être engagée, les agents et élus doivent être vigilants et prêter à une attention particulière à la prévention de ces risques. Dans certains cas, la prise en compte du comportement de l’agent  s’imposera afin de prévenir les relations conflictuelles pouvant avoir des effets contentieux.

  •  Anticipation : prévention, action

 Depuis l’accord cadre du 20 novembre 2009, le code du travail réglementant la prévention des risques psychosociaux s’applique aux 3 fonctions publiques[1].

 En application de l’accord du 22 octobre 2013 relatif à la prévention des risques psychosociaux (RPS) dans la Fonction publique, chaque employeur public doit élaborer un plan d’évaluation et de prévention des RPS dès 2014 et au plus tard en 2015.

 Les dispositions des livres I à V de la quatrième partie du Code du travail précisent en la matière les obligations de sécurité et de prévention des risques professionnels auxquelles sont soumis les employeurs. A ce titre, ils doivent :

  1. éviter les risques;
  2. évaluer les risques qui ne peuvent être évités;
  3. combattre les risques à la source;
  4. adapter le travail à l’homme,
  5. tenir compte de l’état de l’évolution de la technique;
  6. remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux; 7. planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu’il est défini à l’article L. 1152-1;
  7. prendre les mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle;
  8. donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Selon la circulaire du 20 mars 2014 (« Mise en œuvre du plan national d’action pour la prévention des risques psychosociaux dans les trois fonctions publiques »), la définition et la mise en œuvre de ces plans d’action relèvent de la responsabilité des chefs de services, sur qui repose l’obligation d’assurer la sécurité et de garantir la santé des agents.

En matière de protection de la santé physique et mentale des agents, pèse sur l’employeur public une obligation de résultat.

 La  circulaire du 25 juillet 2014 a précisé certains points pour la Fonction publique territoriale.[2] [3]:

chaque autorité territoriale doit réaliser un diagnostic des RPS au sein de la structure dont elle a la responsabilité. L’évaluation issue du diagnostic est intégrée au document unique d’évaluation desrisques. A partir du diagnostic, un plan de prévention des RPS doit être élaboré, dès 2014 et au plus tard en 2015, par l’autorité territoriale. Il constitue un des volets du programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail prévu par le décret du 10 juin 1985[4] en tenant compte des éléments suivants :

  •  le taux d’absentéisme pour raison de santé.
  • le taux de rotation des agents.
  • taux de visite sur demande au médecin de prévention.
  • taux de violence sur agent.

Parmi les risques psychosociaux à éviter figure le harcèlement moral au travail. A cet égard, l’enjeu pour la collectivité est de taille car en pareille hypothèse, sa responsabilité est susceptible d’être engagée.

En effet, d’une part l’article  L. 4121-1 du code du travail relatif aux risques psychosociaux, visé par les textes applicables à la fonction publique territoriale, pose le principe selon lequel « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». De longue date, la jurisprudence y voit l’affirmation d’une obligation de sécurité « de résultat » pesant sur l’employeur. Depuis 2006, cette obligation de sécurité a été étendue à la situation de harcèlement moral.

D’autre part, selon l’article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dispose quant à elle qu’« aucun fonctionnaire ou agent titulaire de droit public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. […] Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. […] ».

Il s’en évince qu’un agent public qui a procédé à des agissements constitutifs d’un harcèlement moral commet une faute qui est passible d’une sanction disciplinaire. Par  nature, cette faute revêt un caractère personnel, mais le juge peut estimer  qu’elle n’est pas sans lien avec le service. Dans ce cas, la responsabilité de la collectivité publique,  employeur de l’auteur et de la victime peut être engagée tenant la faute non détachable du service.

La juridiction administrative saisie d’un tel contentieux doit objectiver si il y a ou non harcèlement.

En effet, toute souffrance au travail n’a pas pour origine des faits constitutifs de harcèlement moral.

  •  Il y a une différence entre la perception par l’agent de ses conditions de travail et la réalité de celles-ci : même si les contraintes du travail sont mal vécues jusqu’à avoir des répercussions sur l’état de santé de l’agent, si le supérieur hiérarchique n’est pas allé au-delà de son pouvoir normal de contrôle, les faits de harcèlement moral ne sont pas caractérisés[5].
  •  Par ailleurs, une situation de conflit professionnel entre une salariée et sa supérieure dégénérant en un conflit de personnes pouvant avoir des répercussions sur l’état de santé d’une salariée, ne suffit pas à caractériser le harcèlement moral[6].

Dans ce cas, l’identification en amont de la source du conflit ou de mal être est déterminante.

Il est à noter que dans le cas d’un conflit entre agents, l’administration peut toujours procéder au changement d’affectation des agents, sans que le procédé soit assimilable à une sanction déguisée à la condition que cette mesure soit prise dans l’intérêt du service.[7].

En effet, cette mesure peut également être prise en considération de la personne. Il s’agit alors, au regard du comportement nuisible, néfaste d’un agent, d’assurer le bon fonctionnement du service en le changeant d’affectation[8][9].

La particularité de la mutation prononcée au regard du comportement de l’agent réside dans le fait qu’elle n’est pas une sanction disciplinaire, contrairement au déplacement d’office qui est une mesure disciplinaire de deuxième groupe.

En cas de conflit, l’autorité administrative peut également prendre des sanctions à l’encontre de l’agent (ou des) agent(s) en cause[10].

Dans ses conclusions  sous l’affaire « Montaut », le Rapporteur public, Monsieur Matthias Gyomar,  avait ajouté que« si les comportements respectifs des harceleur et harcelé présumés ont excédé le cadre normal des relations professionnelles sans pour autant que les réactions du premier au comportement du second n’atteignent le seuil de l’abusif, la présomption sera renversée : cela signifie que le dommage subi ne trouve pas sa source dans le harcèlement allégué ».

Il est donc essentiel pour la collectivité de formaliser et d’objectiver le comportement fautif  dans sa manière de servir et susceptible d’être sanctionné, de tout agent puisque la charge de preuve repose sur cette dernière.


[1] http://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/accord_sante_201109.pdf.

[2] (Circ. 25 juil. 2014, NOR : RDFB1410419C, « Mise en œuvre, dans la Fonction publique territoriale, de l’accord-cadre du 22 octobre 2013 concernant la prévention des risques psychosociaux »)

http://circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2014/08/cir_38658.pdf

[3] Jusqu’à la mise en place de leur CHSCT, les collectivités qui comptent entre 50 et 200 agents consulteront le comité technique. Les collectivités comptant moins de 50 agents consulteront le comité technique du centre de gestion dont elles relèvent, qui exerce les missions du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Le CHSCT, ou l’instance en tenant lieu, est associé à chacune des phases de la mise en œuvre du plan de prévention des RPS.

[4] http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000700869.

[5] Toulouse, ch. soc., 5 nov. 2004, JCP 2005. IV. 1317.

[6] Rennes, ch. soc., 19 juin 2003, JCP 2004. IV. 1118.

[7] L’article 52 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : « l’autorité territoriale procède aux mouvements des fonctionnaires au sein de la collectivité ou de l’établissement ».

[8] CAA Nancy 2 déc. 2004, « M. A. Y. », req. n° 01NC00096.).

[9] CAA Bordeaux 15 nov. 2005, « M. D. X. », req. n° 02BX00670.

[10] Loi N°83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires, la loi N°84-53 du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la Fonction Publique Territoriale et le décret N°89-677 du 18 septembre 1989 modifié relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux.