Urbanisme – Net recul du droit à la procédure contradictoire

Urbanisme – Net recul du droit à la procédure contradictoire

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Publications internes 31 Oct 2025

Procédure contradictoire & retrait des autorisations d’urbanisme : le recul confirmé (CE, 19 août 2025, n°496157)

31 octobre 2025
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Cabinet — Pôle Droit public / Urbanisme

Arrêt cité : CE, 19 août 2025, n°496157

Il y a parfois, en droit administratif, des raisonnements qui plaisent aux praticiens : la conséquence du retrait d’une autorisation d’urbanisme en l’absence de procédure contradictoire, à savoir l’annulation, en était.

En effet, le retrait intervenu sans une telle procédure était illégal en tant que le bénéficiaire de l’autorisation avait été privé d’un droit fondamental (voir en ce sens : Conseil constitutionnel, décision n°76-70DC du 2 décembre 1976) et ainsi, le permis ou la décision de non-opposition tacitement ou expressément accordé valait.

Le droit à la procédure contradictoire, une garantie

Rappelons que le principe de la procédure contradictoire devant intervenir antérieurement à une décision défavorable de l’administration a d’abord été érigé en principe général du droit par le Conseil d’État (CE, Section, 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier).

En 1999, dans un arrêt de section (CE, 3 février 1999, n°149722), le Conseil d’État avait estimé néanmoins qu’une procédure contradictoire n’avait pas à être mise en œuvre dès lors que l’administration devait prendre la décision défavorable « sans avoir à porter une appréciation sur les faits de l’espèce ».

Le 12 avril 2000, le législateur a inscrit la nécessité d’une procédure contradictoire dans la loi (article 24 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000, aujourd’hui codifié aux articles L. 121-1 et L. 121-2 du code des relations entre le public et l’administration). Le législateur a alors prévu des exceptions au principe, essentiellement en se basant sur la jurisprudence du Conseil d’État, mais il n’avait pas retenu celle qui ressort de l’arrêt du 3 février 1999 susvisé ; ainsi que cela ressort du rapport de la Commission des lois de l’Assemblée nationale (rapport Ledoux, 19 mai 1999, 1ʳᵉ lecture).

La loi a donc pris le pas sur cette jurisprudence de 1999 et personne ne se posait plus la question de savoir, en pratique, s’il fallait ou non procéder à une procédure contradictoire préalable au regard de l’appréciation des faits à fournir pour caractériser l’illégalité de telle ou telle autorisation.

Une garantie désormais en net recul

Mais, sans crier gare, par un arrêt n°474026 du 25 juin 2024, le Conseil d’État a jugé que lorsque la délivrance d’une autorisation d’urbanisme est soumise à l’avis conforme d’une autre autorité administrative, il n’est pas nécessaire de mettre en œuvre une procédure contradictoire préalablement au retrait d’une telle autorisation dès lors que l’autorité qui l’a délivrée est en compétence liée s’agissant de retirer une autorisation accordée en méconnaissance d’un avis conforme.

Si la chose marquait un net recul, celui-là était néanmoins circonscrit aux seuls cas où un avis conforme était exigé pour la délivrance de l’autorisation d’urbanisme.

Néanmoins, le loup du recul des droits était entré dans la bergerie, et par un arrêt du 19 août 2025 (n°496157) le Conseil d’État a jugé que le retrait d’une autorisation d’urbanisme accordée pour un projet qui méconnaît une disposition d’urbanisme dont l’application à ce projet n’appelle aucune appréciation de fait peut intervenir sans procédure contradictoire préalable.

« L’application de ces dispositions n’appelant, en l’espèce, aucune appréciation de fait, le maire était tenu de retirer le permis de construire tacitement accordé le 23 mars 2022. »

— Extrait de l’arrêt

Un recul sans véritable sécurité juridique pour les services instructeurs

On notera que cette fois, le critère de l’appréciation de fait se prête à des raisonnements nettement plus casuistiques et raffinés que ceux que pouvaient augurer le critère de la nécessité d’un avis conforme… On ne saurait dès lors que trop conseiller aux services instructeurs, par sécurité juridique, de mener ces procédures contradictoires dans tous les cas.

À noter que la chose a également une utilité pratique : elle permet souvent d’évaluer la solidité juridique du retrait préalablement à un contentieux – donc à moindre frais –, notamment lorsque le pétitionnaire est bien conseillé…

À retenir

  • Compétence liée = pas d’obligation de contradictoire, d’abord en cas d’avis conforme (CE 2024), puis lorsque l’illégalité ne requiert aucune appréciation de fait (CE 2025).
  • Risque accru de contentieux casuistique : la frontière « appréciation de fait / pure légalité » est délicate.
  • Prudence opérationnelle : mener une procédure contradictoire reste, en pratique, la meilleure sécurité juridique.

Références clés

  • CE, 19 août 2025, n°496157
  • CE, 25 juin 2024, n°474026
  • CE, Sect., 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier
  • CE, Sect., 3 févr. 1999, n°149722
  • Cons. const., déc. n°76-70 DC, 2 déc. 1976
  • CRPA : art. L. 121-1 et L. 121-2