L’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement : vers un dépassement des frontières de la normativité ?

L’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement : vers un dépassement des frontières de la normativité ?

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Publications internes 26 Mai 2020

L’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement : vers un dépassement des frontières de la normativité ?

Exigence impérative d’intérêt général1 et objectif d’intérêt général2, la protection de l’environnement est aujourd’hui reconnue comme un objectif de valeur constitutionnelle.
Par sa décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 20203 portant sur la constitutionnalité des dispositions faisant obstacle non seulement à la vente de certains produits phytopharmaceutiques en France mais aussi à leur exportation, le Conseil constitutionnel a consacré l’existence d’un objectif de valeur constitutionnelle de « protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains » découlant du préambule de la Charte de l’environnement.
Il est ainsi donné une portée normative au préambule de la Charte de l’environnement4 selon lequel « l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel … l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains… la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation … afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins »5.
Plus notable encore, pour juger que les dispositions en cause, lesquelles faisaient obstacle à la vente en France de certains produits phytopharmaceutiques contenant des substances nocives pour la santé mais aussi à leur exportation, le Conseil constitutionnel a estimé que la protection du « patrimoine commun des êtres humains », prenant en compte les atteintes à l’environnement et à la santé humaine, permettait au législateur de tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l’environnement à l’étranger6.
De manière originale, en retenant une conception holistique de l’environnement, le Conseil constitutionnel admet qu’une restriction à une liberté constitutionnellement garantie, la liberté d’entreprendre en l’espèce, puisse être envisagée au regard des effets extraterritoriaux de l’activité en cause.
Cette décision, qui « fait d’un devoir international une exigence constitutionnelle »7, ancre juridiquement une réalité scientifique largement partagée selon laquelle la protection de l’environnement et de la santé ne s’arrête pas aux frontières8 et donne sens à la formule « Penser global, agir local » employée par René Dubos lors du premier sommet de la Terre en 1972.
Il s’agit là d’une rupture.
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En effet, dans une décision antérieure, le Conseil constitutionnel avait censuré le moratoire sur l’exportation de produits contenant du bisphénol A en relevant que l’interdiction d’exportation serait « sans effet sur la commercialisation de ces produits dans les pays étrangers »9.
Bien que la doctrine s’accorde sur la faible normativité des objectifs de valeur constitutionnelle10, la consécration de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement invite à intégrer la prise en compte des effets extraterritoriaux d’une norme ou d’un acte administratif pour en apprécier la régularité.
Sur le plan contentieux, il est bien évidemment trop tôt pour dire comment l’obligation de moyen résultant de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement sera susceptible d’influer sur la légalité d’un acte administratif, soit pour fonder un acte restreignant une liberté fondamentale, soit pour critiquer l’insuffisance d’une norme.
À titre d’illustration, il est possible de relever que le juge administratif a déjà pu estimer que l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent ne permettait pas au maire d’interdire des coupures d’alimentation en eau des familles en difficultés économiques et sociales11.
S’agissant précisément de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, l’on peut regretter que le juge administratif, pourtant saisi du moyen, ne se soit pas prononcé sur sa portée à l’occasion d’un litige portant sur un arrêté restreignant les modalités d’utilisation de produits phytopharmaceutiques sur le territoire communal12, dont le régime est par ailleurs rappelé dans notre lettre du cabinet de février 2020.
Les potentialités juridiques de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement, qui pourrait être combiné avec l’article 1er de la Charte de l’environnement garantissant le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, restent à découvrir.

1 CJCE, 20 sept. 1988, Commission c/ Danemark, aff. 302/86, Rec. 4607 : « la protection de l’environnement constitue une exigence impérative ».
2 Voir deux arrêts récents évoquant l’objectif d’intérêt général de limitation du réchauffement climatique et la nécessité pour la France de respecter ses engagements pris au titre de l’Accord de Paris sur le climat : CE, 18 déc. 2019, n°421004 ; CE, 27 juin 2018, n°419316 :
3 Cons. const., 31 janv. 2020, Union des industries de la protection des plantes, n° 2019-823 QPC [Interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques].
4 Mathilde Vervynck, La protection de l’environnement ne s’arrête pas à nos frontières, Dalloz actualité 12 mars 2020.
5 Paragraphe 4 de la décision n° 2019-823 QPC.
6 Paragraphe 6 de la décision n° 2019-823 QPC.
7 Yann Aguila, Lucie Rollini, Charte de l’environnement : le temps de la récolte, La Semaine Juridique Edition Générale n° 10, 9 Mars 2020, 275.
8 Mathilde Vervynck, La protection de l’environnement ne s’arrête pas à nos frontières, Dalloz actualité 12 mars 2020.
9 Cons. const., 17 sept. 2015, Association Plastics Europe, n° 2015-480 QPC [Suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du Bisphénol A].
10 Benoît Grimonpez et Inès Bouchema, Pesticides – Exportation des produits phytosanitaires : un monde, une seule santé environnementale, Droit rural n° 482, Avril 2020, comm. 73 ; M. Verpeaux, Répertoire du contentieux administratif : Contrôle de constitutionnalité des actes administratifs, 2011, n° 237.
11 CAA Versailles, 25 oct. 2007, Commune de Bobigny, n° 06VE00008.
12 CAA Marseille, 29 avr. 2020, Commune d’Aubenas-les-Alpes, n°20MA00835.