Lettre du cabinet – Janvier 2022

Lettre du cabinet – Janvier 2022

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Non classé 27 Jan 2022

L’application du principe « silence vaut acceptation » à l’autorisation d’ouverture d’un bureau annexe de Notaire.

C’est à une véritable révolution copernicienne qu’a procédé l’article 1er de la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens en modifiant l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations :

En effet, alors que la règle, bien ancrée, vieille de près de cent cinquante ans, était que le silence gardé pendant plus de deux mois par l’administration sur une demande valait décision implicite de rejet, le principe est désormais inversé : le silence gardé pendant deux mois par l’administration sur une demande vaut décision d’acceptation.

Ce nouveau principe est inscrit à l’article L. 231-1 du code des relations entre le public et l’administration entré en vigueur le 1er janvier 2016.

Pour autant, la règle « silence vaut acceptation » est très loin de systématiser l’obtention de décisions favorables en cas d’inertie de l’administration, compte tenu des très nombreuses exceptions et dérogations prévues par les textes, à savoir :

– Premièrement, selon l’article L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration et par dérogation à l’article L. 231-1, le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision de rejet :

1° Lorsque la demande ne tend pas à l’adoption d’une décision présentant le caractère d’une décision individuelle,

2° Lorsque la demande ne s’inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif,

3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret,

4° Dans les cas, précisés par décret en Conseil d’Etat, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l’ordre public,

5° Dans les relations entre l’administration et ses agents.

– Deuxièmement, l’article L. 231-5 du code des relations entre le public et l’administration prévoit que des décrets peuvent écarter l’application du principe « silence vaut acceptation » eu égard à l’objet de certaines décisions ou pour des motifs de bonne administration : pas moins de 44 décrets ont été pris en application de cet article, visant plusieurs centaines de types de décisions administratives pour lesquelles le silence de l’administration pendant un certain délai vaut rejet.

Pour pouvoir se prévaloir d’une décision implicite d’acceptation, l’administré devra examiner si sa demande relève de ces exceptions et dérogations et, même si elle y échappe, lutter contre une jurisprudence ayant eu tendance jusqu’à récemment à protéger l’administration des conséquences non négligeables de son silence.

C’est ce qu’illustre l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 14 décembre 2021, n° 19MA04224 (non définitif à ce jour), obtenu par notre cabinet, qui a finalement retenu l’application du principe « silence vaut acceptation » à une demande présentée au Garde des Sceaux par des Notaires pour être autorisés à ouvrir un bureau annexe :

– Dans un premier temps, nous avions obtenu du Conseil d’Etat un revirement de jurisprudence en tant que la décision du Garde des Sceaux prise sur une demande d’autorisation d’ouverture d’un bureau annexe de Notaire en vertu de l’article 2-7 du décret n° 71-942 du 26 novembre 1971 devait désormais être considérée comme dépourvue de caractère réglementaire, et dès lors comme constituant une décision individuelle, dans la mesure où, bien que concernant le fonctionnement du service public notarial, elle n’avait pas pour objet d’en assurer l’organisation (Conseil d’Etat, 28 décembre 2018, n° 409441).

En conséquence, la décision autorisant ou refusant l’ouverture d’un bureau annexe de Notaire ne relève pas de l’exception au principe «silence vaut acceptation » du 1° de l’article L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration.

– La Cour administrative d’appel de Marseille a fait droit à notre requête, conformément aux moyens que nous avions développés :

. Elle a considéré que la décision individuelle portant sur une demande d’autorisation d’ouverture d’un bureau annexe de Notaire ne relevait d’aucune des exceptions à la règle « silence vaut acceptation » prévues par l’article L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration.

. Elle a constaté que la procédure d’autorisation d’ouverture d’un bureau annexe de Notaire n’était visée par aucun des décrets prévus par l’article L. 231-5 dudit code énumérant les cas d’exception à l’application du principe « silence vaut acceptation ».

. Elle a retenu que la liste prévue par l’article D. 231-2 du code des relations entre le public et l’administration des procédures pour lesquelles le silence gardé sur une demande vaut décision d’acceptation, publiée sur un site internet relevant du Premier ministre et mentionnant l’autorité à laquelle doit être adressée la demande ainsi que le délai au terme duquel l’acceptation est acquise ne présentait qu’un caractère informatif, et que la circonstance que la procédure d’autorisation d’ouverture d’un bureau annexe de Notaire n’y était pas mentionnée n’avait pas pour effet d’empêcher qu’une décision implicite d’acceptation ait pu naître du silence gardée pendant deux mois sur la demande.

. Elle a considéré que la procédure d’autorisation d’ouverture d’un bureau annexe de Notaire régie par l’article 2-7 du décret n° 71-942 du 26 novembre 1971 ne pouvait être qualifiée de disposition spéciale au sens de l’article L. 100-1 du code des relations entre le public et l’administration selon lequel ledit code « régit les relations entre le public et l’administration en l’absence de dispositions spéciales applicables », et qu’il ne pouvait en conséquence être dérogé à ce titre à l’application de l’article L. 231-1 de ce code affirmant le principe « silence vaut acceptation ».

. Elle a en outre implicitement rejeté l’argument du Garde des Sceaux qui proposait d’écarter le principe « silence vaut acceptation » eu égard à l’objet de la demande d’ouverture d’un bureau annexe de Notaire aux motifs qu’une telle demande serait structurellement inadaptée à un tel principe et que la formation d’une décision implicite d’acceptation présenterait un risque pour un intérêt public majeur présentant une sensibilité particulière sur le plan politique et social.

Au terme d’une bataille judiciaire épique, les Notaires requérants se sont vus reconnaître le bénéfice d’un bureau annexe, à compter de deux mois suivant leur demande initiale : ainsi, la règle « silence vaut acceptation » est un outil à ne pas négliger, malgré la complexité de sa mise en oeuvre.