LA LOI ELAN : LES INNOVATIONS EN MATIÈRE D’URBANISME, D’AMÉNAGEMENT ET DE CONTENTIEUX

LA LOI ELAN : LES INNOVATIONS EN MATIÈRE D’URBANISME, D’AMÉNAGEMENT ET DE CONTENTIEUX

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Publications internes 29 Jan 2019

La loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ELAN apporte des évolutions règlementaires majeures dans de nombreux domaines du droit privé tels que la construction, le logement et la copropriété.

 

Mais cette vaste révision législative propose également une révision significative de la législation en matière d’urbanisme.

 

Celle-ci intéresse donc les acteurs publics territoriaux qui devront assimiler les nouvelles règles d’urbanisme, adopter les nouveaux outils d’aménagement et prendre conscience des mutations du contentieux de l’urbanisme.

 

Ce panorama n’a pas pour objectif de présenter l’ensemble des nouvelles mesures prévues par la loi ELAN mais d’attirer l’attention des acteurs publics sur des points clés de cette réforme en matière d’urbanisme.

 

  1. Les évolutions significatives des règles d’urbanisme

 

La première évolution de la loi ELAN concerne l’objectif de densification de l’habitat. Cet objectif fait l’objet de mesures disparates dont on retiendra l’extension des possibilités de transformation de bureaux en logements[1], l’extension des possibilités de construire dans les secteurs non constructibles d’un PLU[2] (et en dehors des parties urbanisées dans les communes soumises au règlement national d’urbanisme[3]) et l’assouplissement des règles en matière d’aires de stationnement prévues par le PLU[4].

 

La deuxième évolution concerne la redéfinition de la hiérarchie des normes entre les différents documents d’urbanisme et notamment le repositionnement du SCOT. Une future ordonnance prévue par l’article 46 de la loi devra tirer les conséquences de la création des SRADDET[5] et du transfert de compétence en matière de PLU aux EPCI à fiscalité propre.

La troisième évolution significative concerne la modification de la loi littoral. Il s’agit de la première modification de cette loi depuis sa promulgation en 1986.

 

La révision de la loi littoral concerne principalement les règles applicables à l’ensemble du territoire des communes littorales avec une profonde modification de l’article 121-8 du Code de l’urbanisme.

 

Cet article révisé prévoit une nouvelle possibilité d’urbanisation limitée dans les « secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d’urbanisme ». Pour déterminer la notion de secteurs déjà urbanisés, l’article retranscrit la distinction opérée par la jurisprudence entre zone d’urbanisation diffuse et zone urbanisée, qui doit être déterminée par « entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs ».

 

Cette précision est bienvenue puisque cette notion de « secteur déjà urbanisé » doit être rapprochée de la notion « d’espace déjà urbanisé » prévue à l’article L 121-16 du Code de l’urbanisme, au sein duquel les constructions et installations sont autorisées y compris dans la bande littorale des 100 mètres. Il convient, ainsi, de rester attentif à la jurisprudence qui pourrait appliquer cette nouvelle définition à la notion d’espace déjà urbanisé spécifique à la bande littorale.

 

Par ailleurs, il est à noter que la possibilité d’urbaniser sous forme de hameau nouveau intégré à l’environnement disparait de l’article L 121-8 précité, toutefois, les nouvelles dispositions de cet article ne s’appliquent pas aux demandes d’autorisation d’urbanisme déposées avant le 31 décembre 2021 ni aux révisions, mises en compatibilité ou modifications de documents d’urbanisme approuvées avant cette date.

 

Enfin, la loi ELAN prévoit des dérogations à l’extension de l’urbanisation en continuité notamment en matière de production d’énergie renouvelable dans les iles non-interconnectées au réseau électrique métropolitain, d’activité agricole, forestière et de culture marine[6], ainsi que pour les aménagements légers implantés dans les espaces remarquables ou caractéristiques du littoral[7].

 

La quatrième évolution est relative au régime du permis de construire.

 

Concernant les dispositions d’application immédiates, la loi reprend deux jurisprudences du Conseil d’Etat :

  • La première prohibant de demander aux pétitionnaires d’autres pièces que celles prévues dans le code de l’urbanisme[8],
  • La seconde[9] précisant que le titulaire d’une première autorisation d’urbanisme n’a pas à en solliciter le retrait avant d’en demander une seconde[10].

 

En outre, la loi ELAN prévoit des mesures d’application différées :

  • La dématérialisation du traitement des demandes d’urbanisme est repoussée au 1er janvier 2022,
  • La possibilité de confier à des prestataires privés l’instruction des autorisations d’urbanisme sera précisée par un décret à paraître au 2e trimestre 2019.

 

  1. Les nouveaux outils d’aménagement

 

Le premier outil qui doit être mentionné est le dispositif des opérations d’intérêt national (OIN) qui connait une révision majeure prévoyant notamment une participation accrue des collectivités concernées par le projet[11].

 

Le deuxième outil résulte de la création d’un double dispositif : le contrat de projet partenarial d’aménagement[12] (PPA) et les grandes opérations d’urbanismes[13] (GOU). Le PPA est un dispositif destiné à favoriser les opérations d’aménagement à l’échelle intercommunale par la conclusion d’un contrat entre l’Etat et un EPCI à fiscalité propre. Une fois le PPA conclu, il est possible que l’opération projetée soit qualifiée de grande opération d’urbanisme (GOU) si les caractéristiques et les dimensions du projet le justifient.[14]

 

Le troisième outil, particulièrement intéressant pour les petites et moyennes intercommunalités, réside dans l’opération de revitalisation de territoire (ORT) visant à redynamiser en priorité les centres-villes par un projet global sur l’habitat, l’urbanisme, le commerce, l’économie et les politiques sociales[15].

 

Comme le PPA, l’ORT est mise en place par une convention entre l’Etat, un EPCI et ses communes membres et toute autre entité publique ou privée intéressée par le projet.

 

La mise en œuvre de l’ORT propose des outils innovants tels que :

  • La possibilité d’instaurer un droit de préemption urbain renforcé qui peut viser les fonds commerciaux et artisanaux
  • A titre expérimental pour une durée de 5 ans, la possibilité de délivrer des permis d’aménager multi-sites[16]

 

Enfin, précisons que de nombreuses dispositions règlementaires seront nécessaires pour le développement des ORT : est ainsi prévue une série de décrets à paraitre au 2e trimestre 2019 fixant les conditions de mise en œuvre des projets commerciaux dans le cadre d’une ORT.

 

 

 

 

 

  1. Les évolutions contentieuses

 

Suivant les objectifs du décret n°2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme, la loi ELAN poursuit la volonté du législateur de réduire le volume des litiges et la durée d’instruction des recours.

 

Concernant l’intérêt à agir, notons l’extension des dispositions de l’article L 600-1-2 du Code de l’urbanisme aux recours intentés contre les déclarations préalables. Notons, également, que les associations agissant contre une autorisation d’urbanisme doivent justifier d’un an d’existence au moment de l’affichage de la demande du pétitionnaire en mairie[17].

 

Concernant les délais d’actions, il est désormais impossible d’assortir un référé suspension à un recours contre une autorisation d’urbanisme à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens dans le cadre de ce recours[18] (c’est-à-dire dans un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense[19]).

 

Par ailleurs, dans le cadre des recours contre les autorisations d’urbanisme, il est fait obligation au juge, lorsque cela est possible, de faire usage de ses pouvoirs de sursoir à statuer et d’annulation partielle[20]. Par ailleurs, si le juge refuse de faire droit à l’une de ces deux mesures, celui-ci doit motiver sa décision.

 

L’article L 600-7 du Code de l’urbanisme est également modifié afin de faciliter la sanction des recours abusifs. En effet, dans la nouvelle version de cet article, il n’est plus fait référence au caractère excessif du préjudice causé au bénéficiaire du permis de construire.

 

Enfin, est introduit, dans le Code de l’urbanisme, l’article L 600-12-1 qui accroit la sécurisation des autorisations d’urbanisme délivrées puisque celui-ci précise que l’annulation d’un document d’urbanisme n’a plus d’incidence sur les autorisations délivrées antérieurement, lorsque l’illégalité du document repose sur un motif étranger aux règles applicables au projet. Si la volonté de sécurisation du législateur est louable, cette nouvelle règle pose la question de son articulation avec la jurisprudence du Conseil d’Etat qui estime qu’en cas d’annulation d’un document d’urbanisme, il faut confronter l’autorisation d’urbanisme avec le document d’urbanisme antérieurement en vigueur[21].

[1] Article L 152-6 du Code de l’urbanisme : permet aux communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants (figurant sur la liste prévue à l’article 232 du code général des impôts) et aux communes de plus de 15 000 habitants en forte croissance démographique (figurant sur la liste prévue au dernier alinéa du II de l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation) de déroger par décision motivée à certaines règles du PLU relatives au gabarit, à la densité, à la limite séparative et à la création d’aires de stationnement

[2] Article L 161-4 du Code de l’urbanisme : admission de constructions visant des constructions existantes, en matière d’équipements collectifs et relatives à une activité agricole

[3] Article L 111-4 du Code de l’urbanisme : autorisations prévues pour l’activité agricole, pour les constructions et installations incompatibles avec les zones habitées et pour éviter une diminution de la population communale

[4] Articles L151-34 et suivants du Code de l’urbanisme : possibilité de ne pas imposer des aires de stationnement dans le PLU pour les logements locatifs sociaux, les EPHAD et les résidences universitaires

[5] Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires : article 4251-1 du Code général des collectivités territoriales

[6] Article L 121-10 du Code de l’urbanisme

[7] Article L 121-24 du Code de l’urbanisme

[8] Article L 423-1 du Code de l’urbanisme

[9] Conseil d’Etat, 7 avril 2010, n° 311694, SCI la Tilleulière

[10] Article L 424-5 du Code de l’urbanisme

[11] La loi ELAN prévoit notamment une consultation des collectivités dont le territoire est situé dans le périmètre de l’opération (Article L 102-12 du Code de l’urbanisme) et la possibilité de délimiter des zones dans lesquelles les communes restent compétentes pour délivrer des autorisations d’urbanisme (Article L 102-14 du Code de l’urbanisme)

[12] Article L 312-1 du Code de l’urbanisme

[13] Article L 312-3 du Code de l’urbanisme

[14] Cet outil devrait concerner, a priori, les opérations complexes de rénovation et reconversion dans les grandes agglomérations impliquant la création de logements, commerces, voiries, équipements publics, etc. (AJDA 2019, n°2, La loi ELAN, aspects de droit public, p 94)

[15] Article L 303-2 du Code de la construction et de l’habitation

[16] L’article 157, IV de la loi ELAN, prévoit une dérogation, à titre expérimental, à l’article L. 442-1 du code de l’urbanisme, permettant la délivrance d’un permis d’aménager portant sur des unités foncières non contiguës

[17] Article L 600-1-1 du Code de l’urbanisme

[18] Article L 600-3 du Code de l’urbanisme

[19] Article R 600-5 du Code de l’urbanisme

[20] Articles L 600-5 et L 600-5-1 du Code de l’urbanisme

[21] Conseil d’Etat, 7 février 2008, n° 297227, Commune de Courbevoie