CRIMINALISATION DES ATTEINTES À L’ENVIRONNEMENT : ÉCOCIDE : C’EST – ENCORE – NON

CRIMINALISATION DES ATTEINTES À L’ENVIRONNEMENT : ÉCOCIDE : C’EST – ENCORE – NON

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Publications internes 17 Déc 2019

CRIMINALISATION DES ATTEINTES À L’ENVIRONNEMENT :

ÉCOCIDE : C’EST – ENCORE – NON

 

De la même manière que le Sénat l’avait fait le 2 mai 2019, l’Assemblée Nationale a rejeté, le 12 décembre dernier, une proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide présentée par des députés du groupe socialiste et apparentés.

 

Le texte proposait d’insérer l’incrimination suivante, imprescriptible, dans le code pénal : « Constitue un écocide toute action concertée et délibérée tendant à causer directement des dommages étendus, irréversibles et irréparables à un écosystème, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées. L’écocide est puni de vingt ans de réclusion criminelle et d’une amende de 10.000.000 € ou, dans le cas d’une entreprise, de 20 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent ».

 

Le texte proposait également de créer les incriminations de provocation publique et directe à commettre le crime d’écocide et de participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation du crime d’écocide.

 

Le concept de l’écocide :

 

En droit interne français, les atteintes à l’environnement (aux écosystèmes, aux milieux, à la ressource en eau…) sont susceptibles de constituer des contraventions ou délits engageant la responsabilité pénale de leurs auteurs (amendes et emprisonnement), sur la base d’incriminations spéciales prévues dans le code de l’environnement (déchets, installations classées pour la protection de l’environnement, produits chimiques, eau, OGM…) ou dans le code pénal.

 

Parallèlement, la responsabilité civile des auteurs de dommages à l’environnement peut être engagée, fondée sur les contraventions et délits ci-dessus et sur le principe de la responsabilité pour faute de l’article 1240 du code civil (ancien article 1382) : les responsables sont condamnés à indemniser les victimes des préjudices de nature environnementale que ces derniers ont subis (coûts de restauration des milieux impactés, voire atteinte de principe aux intérêts environnementaux que les victimes ont vocation de défendre, les victimes étant alors l’Etat, des collectivités territoriales ou des établissements publics ayant des compétences environnementales).

 

Notre cabinet a obtenu, parmi les premiers, des décisions prononçant la réparation du préjudice environnemental.

 

Pour autant, il n’existe pas, en droit français, d’incrimination pénale générale unique pour atteinte à l’environnement, et à fortiori pas d’incrimination relevant de la Cour d’assise, alors que l’écocide est inscrit dans la législation pénale nationale de plusieurs pays, dont le Vietnam, la Russie, le Kazakhstan, l’Ukraine ou la Géorgie (les poursuites sont cependant extrêmement rares).

 

En droit international, la notion de crime d’écocide (rapprochement d’écosystème et de génocide, ou de oikos (« maison en grec ») et occidere (« tuer en latin »), correspondant à la destruction ou à l’endommagement important d’un écosystème lié à un facteur anthropique, est apparue et a été débattue dès le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.

Cependant, l’écocide n’a pas été retenu par les principaux traités internationaux, ni au stade de leur approbation, ni au cours de leur évolution jusqu’à ce jour : il ne l’a été ni par la Commission du droit international pour préparer le Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, ni par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (approuvée le 9 décembre 1948 et entrée en vigueur le 12 janvier 1951), ni par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, traité international qui a créé la Cour pénale internationale (adopté en 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002).

Les tentatives pour instaurer l’écocide comme 5e crime relevant de la Cour pénale internationale n’ont pas abouti (la CPI est compétente pour réprimer les génocides, les crime contre l’humanité, les crimes d’agression et les crimes de guerre).

 

Ce n’est que dans la définition du crime de guerre que l’atteinte à l’environnement est visée, dans l’article 8, b, iv du Statut de Rome : constitue un crime de guerre « Le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu’elle causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu ».

 

Malgré la volonté affichée par la CPI elle-même de s’intéresser aux crimes « impliquant ou entraînant, entre autres, des ravages écologiques, l’exploitation illicite des ressources naturelles ou l’expropriation illicite de terrains », les textes ne lui permettent pas de poursuivre et de réprimer les écocides.

 

Seul un avenant au Statut de Rome, ou l’adoption d’un traité international et la création d’une juridiction internationale spécialisée, permettrait de réprimer les actes constitutifs d’un écocide.

 

En droit européen (Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et Cour européenne des droits de l’homme) et en droit de l’Union européenne (traité, règlements, directives, Cour de justice de l’union européenne), les textes portant sur la protection de l’environnement et les décisions juridictionnelles contraignantes en la matière sont nombreux, mais ne permettent pas, puisque ce n’est pas leur objet, de réprimer les atteintes à l’environnement dans un cadre pénal.

 

Les raisons du rejet de la proposition de loi sur l’écocide :

 

Bien que s’étant déclarés attachés à l’instauration d’une incrimination pénale en matière d’atteintes à l’environnement, à la biodiversité et à la santé, le Gouvernement et la majorité au Sénat et à l’Assemblée nationale ont été défavorables à la proposition de loi créant le crime d’écocide, pour les motifs principaux suivants :

 

– Le droit pénal environnemental actuel, s’il ne prévoit pas d’incrimination générique susceptible de s’appliquer à des atteintes d’une extrême gravité à l’environnement, de même que le droit pénal général, et les sanctions prononcées sur leur fondement, seraient suffisants.

 

– La définition du crime d’écocide n’est pas suffisamment précise, contrairement à ce qu’exige la loi pénale :

 

Ainsi, le crime d’écocide n’est défini que par les conséquences qu’il entraîne sur l’environnement, sans faire référence au comportement précis de nature à y porter atteinte, et le résultat de l’infraction serait trop flou (« dommages étendus, irréversibles et irréparables [causés] à un écosystème »),

 

– Tenant le caractère transnational des exemples mentionnés dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, l’adoption d’un corpus juridique de niveau international serait nécessaire, pour des raisons d’efficacité, préalablement à la création d’incriminations nationales.

 

 

En définitive, on peut considérer que l’échec de cette tentative d’instaurer le crime d’écocide en droit français est partagé entre les députés qui ont préparé la proposition de loi, le Gouvernement qui a été défavorable à cette proposition, et les majorités parlementaires qui l’ont rejetée :

 

– Il est en effet exact que le texte n’était pas suffisamment rigoureux s’agissant d’une incrimination pénale, risquait une invalidation par le Conseil Constitutionnel, et ne garantissait pas une application effective devant les juridictions qui auraient été saisies (ainsi, s’agissant du texte soumis au Sénat, la juriste Valérie Cabanes, qui travaille sur la question depuis de longues années, regrettait de ne pas avoir été associée – elle ou d’autres spécialistes – en amont de sa préparation (cf. Slate, Le long chemin de l’écocide pour s’imposer dans le droit international) : cette question n’est cependant pas rédhibitoire, et un texte bien préparé pourrait aisément être adopté.

 

– Il est exact en outre que les faits qui motivent l’instauration du crime d’écocide ont un caractère souvent international, compte tenu de leur gravité et de leurs impacts qui traversent les frontières (en dernier lieu la destruction massive et organisée de la forêt amazonienne[1]), et que seule une incrimination internationale serait susceptible de les réprimer, nécessitant de faire adopter un traité international, notamment par les pays concernés : néanmoins, outre de permettre la répression d’atteintes importantes à l’environnement commises sur le territoire national ou, y compris hors de ce territoire, par des ressortissants français – l’hypothèse n’est pas seulement théorique –, l’instauration d’un crime d’écocide en droit français serait un message et une première pierre à un édifice global, international ou, à tout le moins, européen, à l’instar de la taxe GAFA créée unilatéralement cet été par la France, sachant qu’un traité international pénalisant les atteintes à l’environnement a peu de chance d’être adopté, ne serait-ce qu’à moyen terme.

 

– Quand à l’efficacité actuelle du droit répressif en matière environnementale, avancée par Madame la Garde des Sceaux, il est permis de douter que le système actuel ne mériterait pas d’être perfectionné, plus d’ailleurs par les moyens en personnels et financiers alloués au services de l’Etat chargés de l’environnement (installations classées pour la protection de l’environnement, autorisations loi sur l’eau, etc) et à la Justice, que par la modification des textes actuels ou par l’adoption de nouveaux textes.

 

Surtout, l’instauration d’une incrimination d’écocide n’a pas pour objet de supplanter celles, spéciales, actuellement prévues par le code de l’environnement et par le code pénal, mais de proclamer une incrimination générique, avec la portée attachée à une telle disposition.

 

Il est permis en conclusion d’estimer que les rejets par le Sénat puis par l’Assemblée nationale de la proposition de loi sur l’écocide constituent un rendez-vous manqué, à l’instar de la COP 25 de Madrid, et que les réponses politiques et institutionnelles actuelles ne sont toujours pas à la hauteur des enjeux.

 

 

[1] Sur la responsabilité – indirecte – de la France et de l’Union européenne : par exemple, l’Union européenne en est le 2e importateur mondial de soja, et dans les importations européennes, le Brésil détient la première place.