Protection des paysages

Protection des paysages

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Publications internes 02 Oct 2018

De la protection des paysages

L’été, propice à la découverte et la contemplation de paysages, souvent merveilleux, nous a invité à une méditation juridique sur la question de la protection de ces paysages.

Le terme de « paysage » est initialement apparu dans le « langage de la peinture »[1]. Les définitions littéraires classiques le présente comme la « partie d’un pays que la nature présente à un observateur»[2] ou comme « la relation qui s’établit en un lieu et un moment donnés, entre un observateur et l’espace qu’il parcourt du regard »[3].

Ce n’est qu’au début du XXème siècle que le vocable investi la sphère juridique, en 1906, avec la loi du 15 juin sur les distributions électriques, sans pour autant qu’une définition n’en soit donnée tenant la difficulté pour la norme objective de saisir la subjectivité du paysage au-delà de la matérialité d’un territoire.

Cette inscription tardive du paysage en droit français soulève la question de savoir comment la norme juridique s’est approprié la notion de paysage, son caractère relatif et protéiforme[4].

Les premières définitions de la notion juridique de paysage ont été peu à peu inscrites dans des textes protecteurs fortement emprunts de considérations d’ordre esthétique que la doctrine qualifie unanimement de protection élitiste. Semblant venir enrichir cette acception classique du paysage, l’acception moderne du paysage s’est peu à peu étoffée à la faveur d’aspirations sociales et culturelles, traduisant ainsi le passage du paysage vu au paysage vécu.

 

  1. Les origines esthétiques et élitistes de la protection juridique du paysage.

Malgré une quasi-absence sémantique, le concept de paysage a longtemps occupé une place singulière, masqué derrière les notions voisines de sites, monuments naturels et historiques, etc.

Sans remonté à la pensée antique et sa considération de l’esthétique faisant primer une nature « idéale » ou idéalisée sur la « nature originelle », il est possible d’observer que le « fait du prince » fut l’outil de protection originelle des sites et paysages.

On pense ici aux garennes qui contribuèrent à préserver le paysage sur de larges territoires au-delà du but principalement cynégétique. On pense aussi à l’ordonnance de Colbert de 1669 relative à la gestion aux forêts royales ou encore et surtout au bon plaisir des monarques successifs du royaume de France qui a consacré l’aménagement paysager des villes et des espaces, magnifié par l’art des jardins aux abords des châteaux[5].

L’élitisme de la protection initiale des paysages, des sites et des monuments a ainsi été marqué par la protection du beau, tendant à assurer l’intégrité physique des éléments administrativement choisis et celle de leurs abords plus ou moins immédiats[6]. Dans ce cadre, seuls les espaces réduits, jouissant d’une proximité immédiate avec l’objet principal de la protection (sites et monuments naturels ou historiques) étaient pris en compte par cette protection institutionnalisée[7].

 

Cette conception étroite de l’esthétique décrétée va évoluer à la faveur d’une redéfinition du paysage.

 

  1. L’élargissement de la définition juridique du paysage.

L’approche fondée sur l’esthétique a longtemps sous-tendu la définition et la protection du paysage.

Il faudra attendre la loi Paysages de 1993, qui consacre encore cette corrélation, mais surtout son décret d’application pour entrevoir un dépassement de la vision matérielle du paysage. Pour la première fois[8], le paysage est envisagé «comme témoins de modes de vie et d’habitat ou d’activités et de traditions industrielles, artisanales, agricoles et forestières ».

Cette nouvelle acception juridique de la notion de paysage sera consacrée en 2000 par la Convention Européenne du Paysage signée à Florence, intégrée en droit français par un décret de 2006[9] qui ancre expressément une nouvelle définition juridique du paysage dans le droit positif français : il s’agit d’un « ensemble naturel ou urbain correspondant au cadre de vie des populations tel que ces dernières le perçoivent ».

Constituant un cadre de vie, une représentation sociale en perpétuelle évolution, le paysage est partout. Selon l’article 2 de la Convention de Florence, la protection des paysages « concerne, tant les paysages pouvant être considérés comme remarquables, que les paysages du quotidien et les paysages dégradés »[10]. Dans ce nouveau cadre, un espace qui ne répond pas au critère de l’esthétique pourra « faire paysage ».

 

L’évolution de la définition juridique du paysage et le passage du paysage vu au paysage vécu, plus exhaustivement traité dans la thèse réalisée par Maître Clément Crespy[11], avocat collaborateur au sein du cabinet, peut conduire à s’interroger sur l’effacement du critère esthétique.

 

En réalité, il apparait que le critère esthétique demeure prédominant.

En effet, les instruments de la politique publique paysagère impliquent, préalablement et essentiellement, la reconnaissance de la qualité esthétique du paysage en cause. De même, saisi de la question de l’atteinte au paysage par un projet de construction, le juge sera conduit à mettre en balance les intérêts en présence, pourvu que ceux-ci soient exclusivement liés à des considérations paysagères et esthétiques[12].

[1] P. Guttinger, « Approche du paysage en droit français », Cahiers d’économie et sociologie rurale, n°84-85, 2007, p. 14.

[2] Dictionnaire Le Robert.

[3] Encyclopedia Universalis.

[4] F. Ribard, Dualité du régime juridique du paysage, Mémoire de DEA, Université de Paris II (1998).

[5] R. Romi, Droit et administration de l’environnement, Montchrestien, 5° édition, 2004, p. 558.

[6] Voir notamment la loi du 31 décembre 1913 relative aux monuments historiques et la loi n° 62-903 du 4 août 1962, dite « loi Malraux », complétant la législation sur la protection du patrimoine historique et esthétique de la France.

[7] CE, 13 mars 1935, Epoux Moranville ; Rec. Lebon p. 325 ; CE, 21 juillet 1937, Dame Veuve Duval ; Rec. Lebon p. 752 ; CE, 29 juin 1955, Société des usines RENAULT ; Rec. Lebon p. 366.

[8] Sauf à évoquer un arrêt avangardiste par lequel le juge dépassait déjà la matérialité du paysage en prenant en compte dans sa dimension culturelle : CE, 29 nov. 1978, n°00465, SCI Marcilly ; Rec. Lebon T. p. 829.

[9] Décret n° 2006-1643 du 20 décembre 2006 portant publication de la convention européenne du paysage, signée à Florence le 20 octobre 2000 – NOR: MAEJ0630115D, JORF n°296 du 22 décembre 2006, texte n° 24, p.19375.

[10] On peut à cet égard évoquer la protection du Bassin minier du Nord-Pas de Calais inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO au titre de « paysage culturel évolutif et vivant »

[11] C. Crespy, Eoliennes et Paysages – Recherche sur les critères jurisprudentiels de l’insertion paysagère des éoliennes, Thèse de doctorat, Université de Montpellier, Presses Académiques Francophones (2014).

[12] cf. CE, 13 juill. 2012, n°345970 et n°343306, Asso. Engoulevent,