Pesticides : Quels pouvoirs du maire face à l’utilisation de produits phytosanitaires ?

Pesticides : Quels pouvoirs du maire face à l’utilisation de produits phytosanitaires ?

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Publications internes 02 Mar 2020

Pesticides : Quels pouvoirs du maire face à l’utilisation de produits phytosanitaires ?

Par un arrêt rendu le 14 février 2020 , le Conseil d’Etat a rejeté la demande d’un collectif de maires de suspendre un décret et un arrêté du 27 décembre 2019 fixant de nouvelles règles encadrant l’épandage des pesticides.

Cette décision fait suite à celle du 26 juin 2019 du Conseil d’Etat qui avait annulé partiellement l’arrêté interministériel du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytosanitaires (ou phytopharmaceutiques) au motif que ses dispositions ne protégeaient pas suffisamment la santé publique et l’environnement et avait enjoint aux ministres compétents de prendre les mesures réglementaires nécessaires dans un délai de six mois .

Par suite, un décret et un arrêté interministériels du 27 décembre 2019 ont été pris afin de fixer de nouvelles règles d’utilisation des produits phytosanitaires.

Un collectif de maires a introduit un référé suspension, objet de l’arrêt du 14 février 2020 précité, et un recours en annulation contre ces nouveaux textes estimant notamment que les distances minimales fixées d’utilisation des produits phytosanitaires seraient insuffisantes .

Dans son arrêt du 14 février 2020, le Conseil d’Etat a jugé que l’urgence à suspendre les textes précités n’est pas établie en estimant notamment que les distances minimales retenues correspondent à celles préconisées par un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et que « d’une part, plusieurs études et travaux d’évaluation sont en cours sur ce sujet en France comme à l’étranger et, d’autre part, les autres Etats membres de l’Union européenne n’imposent pas à ce jour de distances de sécurité d’application générale supérieures à celles prévues par l’arrêté contesté ».

Au regard de l’hostilité de nombreux maires vis-à-vis de l’utilisation de phytosanitaires sur le territoire de leur commune, cet arrêt est l’occasion de revenir sur la question des pouvoirs attribués aux maires pour encadrer l’utilisation de produits phytosanitaires.

En effet, un nombre croissant de communes ont pris des arrêtés interdisant ou restreignant l’usage des produits phytosanitaires : il peut être cité par exemple l’arrêté du 3 juin 2019 pris par le maire de la commune de Langouët (Ille-et-Vilaine) pour interdire l’épandage des pesticides à moins de 150 mètres des habitations qui a fait l’objet d’une importante médiatisation.

1. La police de l’utilisation des produits phytosanitaires : une compétence de police spéciale attribuée à l’Etat

Pour rappel, la police spéciale en matière de précaution et de surveillance des produits phytosanitaires, issue d’un règlement et de directives de l’Union européenne , qui permet notamment de prendre des mesures d’interdiction ou d’encadrement de l’utilisation de produits phytosanitaires, est attribuée à l’Etat dont la mise en œuvre est attribuée au ministre chargé de l’agriculture .

En conséquence, le pouvoir de police des produits phytosanitaires ayant été expressément conféré à une autorité autre que le Maire, ce dernier est par principe incompétent pour prendre des mesures de police concernant l’utilisation de ces produits.

Cependant, au titre de son pouvoir de police générale lui donnant compétence pour assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, le Maire a compétence pour agir dans un domaine relevant d’une police spéciale qui ne lui est pas attribuée, soit face à un danger grave ou imminent soit lorsque des circonstances locales particulières le justifient .

Il convient de rappeler que si l’existence d’un danger grave et imminent et/ou de circonstances locales particulières permet au Maire de prendre une mesure relevant d’une police spéciale qui ne lui est pas attribuée, celle-ci, comme toute mesure de police, ne doit pas être générale et absolue et doit être proportionnée et nécessaire à la protection de l’intérêt public mis en cause .

2. L’utilisation des pouvoirs de police générale du maire en cas de danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières

Certaines jurisprudences admettent le maintien de la compétence du Maire au titre de ses pouvoirs de police générale, nonobstant l’existence d’une police spéciale en matière de produits phytosanitaires, lorsqu’il est fait la démonstration de l’existence soit d’un danger grave et imminent soit de circonstances locales particulières .

Il convient de noter que l’existence d’un danger grave et imminent est parfois admise compte tenu notamment des circonstances locales particulières : le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a ainsi reconnu l’existence d’un tel danger notamment au regard de la configuration d’une commune traversée par 8,5 km de voies ferrées pour l’entretien desquels des pesticides sont couramment employés dès lors que ces voies jouxtent un hôpital privé comportant un important service de néonatalogie et un hôpital psychiatrique et que le territoire communal comporte onze crèches, vingt-sept écoles, cinq collèges et deux lycées fréquentés par des enfants et adolescents qui constituent des populations particulièrement vulnérables aux pesticides .
En l’espèce, il faut noter que l’arrêté en cause dans le jugement précité s’inscrivait dans un contexte particulier dès lors qu’il a été pris le 3 juin 2019, soit avant que ne soient pris le décret et l’arrêté du 27 décembre 2019, fixant de nouvelles règles d’utilisation des pesticides, sur injonction du Conseil d’Etat, après l’annulation de l’arrêté interministériel du 4 mai 2017 dont le contenu en matière de protection avait été jugé insuffisant.

3. L’incertitude sur le maintien de la compétence du Maire même en cas danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières

D’autres jurisprudences ferment au contraire la porte à toute mesure du Maire en matière de produits phytosanitaires, et ce, même en cas de danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières .

A ce titre, le jugement ayant annulé l’arrêté du 3 juin 2019 pris par le maire de la commune de Langouët précise que ni les pouvoirs de police générale du Maire, ni les articles L 1311-1 et L 1311-2 du Code de la santé publique lui permettant d’agir en vue d’assurer la protection de la santé publique, ni l’article 5 de la Charte de l’environnement , ni le principe de libre administration des collectivités territoriales « ne sauraient en aucun cas permettre au maire d’une commune de s’immiscer dans l’exercice de cette police spéciale par l’édiction d’une réglementation locale ».

Ces jurisprudences renvoient à celles du Conseil d’Etat en matière de police des antennes de téléphonie mobile et de police des organismes génétiquement modifiés (OGM) pour lesquelles il a été jugé que l’existence d’un danger gave ou imminent ne permettait pas pour autant au maire d’agir à la place de l’autorité compétente pour ces polices spéciales.

Ce refus du maintien des pouvoirs de police générale du Maire en cas de péril grave ou imminent (et a priori également en cas de circonstances locales particulières) avait été justifié pour ces deux polices spéciales en raison du double but qu’elles poursuivent :
– Pour la police des antennes de téléphonie mobile, il s’agit à la fois d’un but général de protection de la santé publique, mais également d’un but spécifique de fonctionnement optimal des réseaux de téléphonie mobile,
– Pour la police des OGM, il s’agit à la fois d’un but général de protection de la santé publique et d’un but spécifique de prévention des atteintes à l’environnement.

Concernant la police spéciale des produits phytosanitaires, les jurisprudences justifient l’exclusion de la compétence du Maire en toutes circonstances par le fait que cette police poursuit à la fois un but général : veiller à la protection de la santé publique et de l’environnement, et un but spécifique : assurer un niveau élevé et uniforme de protection de la santé publique et de l’environnement contre les effets pouvant résulter de l’utilisation des produits phytosanitaires.

Par ailleurs, comme en matière d’antennes de téléphonie mobile , l’exclusion de la compétence du Maire en toutes circonstances est justifiée par le fait que les pouvoirs de police spéciale des produits phytosanitaires « reposent sur un niveau d’expertise et peuvent être assortis de garanties indisponibles au plan local » .

Enfin, dans son arrêt du 14 février 2020, le Conseil d’Etat a précisé que « l’intérêt qui s’attache à l’adoption par les maires au titre de leur pouvoir de police générale des mesures nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques ne saurait suffire à établir l’urgence à suspendre l’arrêté contesté, dès lors que ce pouvoir de police générale doit s’exercer dans le respect des dispositions législatives qui confient au ministre un pouvoir de police spécial en la matière ».

En conclusion, tout porte à croire que, comme en matière de police des antennes de téléphonie mobile et des OGM, la jurisprudence va tendre vers une exclusion des pouvoirs de police du maire, même en cas de danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières, en matière de police des produits phytosanitaires.

Par ailleurs, même si la légalité du décret et de l’arrêté du 27 décembre 2019 fixant de nouvelles règles encadrant l’utilisation des pesticides n’a pas encore été jugée au fond par le Conseil d’Etat suite au recours en annulation introduit par un collectif de Maire, les motifs de l’arrêt du 14 février 2020 laissent à penser qu’il sera dorénavant difficile pour les maires de justifier d’un danger grave et imminent ou de circonstances locales particulières pour prendre des mesures de police encadrant l’utilisation de produits phytosanitaires.

En effet, en jugeant notamment que les distances minimales retenues dans les textes précités correspondent à celles préconisées par un avis de l’ANSES et que les autres Etats membres de l’Union européenne n’imposent pas à ce jour de distances de sécurité supérieures à celles fixées par ces textes, il deviendra difficile de démontrer que les distances préconisées sont insuffisantes et constitutives d’un danger grave ou imminent ou inadaptées à des circonstances locales particulières, sauf à ce qu’une agence gouvernementale ou des rapports scientifiques officiels viennent remettre en cause les règles d’utilisations des produits phytosanitaires fixées.