La question prioritaire de constitutionnalité appliquée au droit de l’environnement

La question prioritaire de constitutionnalité appliquée au droit de l’environnement

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Publications internes 03 Déc 2009

Le droit de l’environnement a intégré le bloc de constitutionnalité en 2004 par l’adoption de la « Charte de l’environnement ». Le Président de la République prédisait alors que « le législateur, le Conseil Constitutionnel et les plus hautes juridictions, ainsi que toutes les autorités publiques, deviendront les garants de l’impératif écologique ».

La jurisprudence constitutionnelle est nettement moins emphatique. En effet, les décisions relatives à la charte mettent en exergue un contrôle restreint de l’impératif environnemental.

La loi organique du 3 décembre 2009 organise à présent une procédure de saisine du Conseil Constitutionnel afin de faire abroger une loi contraire aux droits et libertés défendues par la Constitution. Ce recours était attendu de longue date par les constitutionnalistes.

Par ce nouveau mécanisme, toute partie à un contentieux pourra porter une demande en abrogation de la loi faisant grief si cette dernière va à l’encontre d’un droit ou d’une liberté déterminés par la Constitution. Cette procédure dite « question prioritaire de constitutionnalité» connaît deux temps. Le Juge saisi du contentieux veille à ce que cette demande soit fondée et qu’elle n’ait déjà donné lieu à une décision du Conseil Constitutionnel. Si le juge acquiesce, la demande est portée devant la juridiction suprême, Conseil d’Etat ou Cour de Cassation, pour subir derechef le même contrôle. Si la juridiction valide cette demande, le Conseil Constitutionnel est saisi.

La question prioritaire de constitutionnalité ouvre des nouvelles perspectives susceptibles de redonner vigueur à la question environnementale.

Sous l’apparente simplicité de la procédure en vigueur au 1er mars 2010, l’application de cette nouvelle saisine risque de révolutionner le contrôle de constitutionnalité.

Il est donc essentiel de tenter de déchiffrer les tenants et les aboutissants de cette nouvelle opportunité offerte aux justiciables comme aux professionnels du droit.

 

I. La Charte de l’environnement, un objectif ou une norme ?

Il faut rappeler que tous les articles composant le bloc de constitutionnalité ne sont pas forcément pourvus d’une même valeur normative. En effet, le Conseil Constitutionnel opère une distinction entre les objectifs à valeur constitutionnelle, les principes constitutionnels et les droits constitutionnels. Cette « hiérarchie » a pour conséquence de susciter un contrôle normal, restreint ou une absence totale de contrôle.

Cette question doit être évoquée tenant la rédaction de la Charte comme au regard des décisions rendues en l’espèce par les différentes juridictions.

Le Conseil Constitutionnel s’est prononcé à trois reprises sur des articles de la charte de l’environnement.

 

1. Un contrôle restreint du principe de conciliation.

L’article 6 de la charte dispose : Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social.

Le conseil considère « qu’aux termes de l’article 6 de la charte de l’environnement de 2004, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect du principe de conciliation posé par ces dispositions, les modalités de sa mise en œuvre. »

Tout en donnant le statut de « principe constitutionnel » à l’article 6, le conseil n’entend réaliser qu’un contrôle restreint, laissant au législateur la tâche d’en déterminer les subtilités.

Cette posture invite à la clarification. Le conseil constitutionnel devra définir une théorie du bilan dans le cadre d’un contrôle normal ou rétrograder ce principe en objectif de valeur constitutionnelle.

 

2. Un contrôle restreint du principe du droit à l’information.

L’article 7 de la Charte dispose : Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.

Le Conseil Constitutionnel refuse d’exercer un contrôle normal en la matière : « il n’appartient qu’au législateur de mettre en œuvre le principe du droit à l’information ».

Le Conseil Constitutionnel ne sanctionnera que les atteintes manifestes ; c’est-à-dire les atteintes dénuées de fondements et marquant une volonté délibérée de ne pas communiquer.

 

3. Un contrôle normal sur le respect du principe de précaution.

L’article 5 de la Charte dispose : Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.

Si le Conseil Constitutionnel pratique un contrôle normal en la matière, il a développé la théorie du caractère « proportionné » des mesures prises par le législateur.

En effet, le principe de précaution ne doit pas être un carcan insurmontable. Il faut apprécier l’éventuelle menace à l’aune des enjeux.

Pour l’heure, les autres articles de la Charte de l’environnement n’ont pas fait l’objet d’une décision.

Il est important de tempérer cette analyse à la vue des perspectives offertes par le Conseil Constitutionnel. En effet,  Le Conseil n’a pas « rétrogradé » les principes mentionnés dans la charte au rang d’objectifs. En d’autres termes, Le Conseil se réserve le pouvoir de réaliser un contrôle normal des principes précédemment mentionnés et ce à tout moment.

Cette hypothèse semble logique tenant deux facteurs. La charte est relativement récente et le Conseil n’a pas encore eu l’opportunité de manifester son opinion sur l’intégralité des articles. Il est d’usage que le Conseil prenne le temps pour assoir un point de vue éventuellement tranché sur la question environnementale. Deuxièmement, dans la tradition propre à la juridiction suprême, le Conseil entend satisfaire à la pensée politique globale. Cette approche est sienne depuis ses débuts dans la mesure où le Conseil doit parfois évoquer des textes qui ne reflètent plus aucune pensée politique contemporaine (exemple du principe de nationalisation des sociétés en monopole de fait).

Que faut-il en déduire ? Plus l’opinion et les représentants de la souveraineté nationale entendront défendre l’environnement, plus le Conseil Constitutionnel adoptera un contrôle coercitif quant aux principes défendus par la charte de l’environnement.

 

II. A l’aube d’un changement majeur.

La question prioritaire de constitutionnalité porte de nouveaux enjeux qui sont encore impossibles à quantifier tenant les grandes perspectives escomptées.

Les professionnels du droit seront confrontés à ces questions essentielles aujourd’hui sans réponse.

 

1. Les nouvelles vertus d’un contrôle a posteriori

Toutes les décisions du Conseil Constitutionnel ne peuvent être fondées sur une appréciation de la loi dans ses effets dans la mesure où les lois portées jusqu’alors devant le conseil n’étaient pas encore promulguées.

Ce nouveau contrôle in concreto va être déterminant dans la mesure où les principes définis par la charte sont relatifs à des engagements matériels et concrets. Il ne s’agit pas de disserter sur une valeur politique ou morale mais d’apprécier une atteinte portée à l’environnement ou l’existence d’un péril imminent ou consommé.

Il sera également plus facile de déceler dans certaines situations la frilosité du législateur dans les domaines relevant de l’obligation d’information. En effet, une loi interdisant la communication de certains documents touchant à l’environnement pourra être appréciée à la vue de ses objectifs véritables.

 

2. La question de la rétroactivité

Une question reste en suspend quant à la valeur rétroactive de la norme constitutionnelle. Si, comme la raison l’impose, une norme constitutionnelle doit s’appliquer en tout domaine ; la Charte de l’environnement peut s’imposer à toutes les lois antérieures à sa promulgation.

Cette perspective peut révolutionner le droit de l’environnement. Il est impossible de citer toutes les lois antérieures à 2004 susceptibles d’aller à l’encontre des principes défendus par la Charte.

 

3. La Charte de l’environnement et le contrôle de conventionalité.

L’une des questions majeures réside dans l’application des conventions internationales et des directives communautaires.

La question prioritaire de constitutionnalité ne vise que les droits et libertés contenus dans la Constitution. Il est donc impossible de saisir le Conseil si une loi est contraire à une convention internationale.

Cependant, les directives européennes transposées en droit interne sous forme de loi peuvent faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité du fait de cette nouvelle procédure.

Cette démarche paraît ne faire obstacle à aucun principe dans la mesure où la fiction juridique contemporaine place encore la Constitution au-dessus des conventions internationales et des normes communautaires.

 

III. Les difficultés juridiques et institutionnelles.

Certaines interrogations subsistent quant à l’efficience de ce contrôle.

La première crainte est d’ordre exégétique. En effet, le Conseil Constitutionnel ne peut être saisi qu’à l’aune d’un droit ou d’une liberté. Les « principes » tels ceux définis dans la Charte ne sont pas des droits stricto sensu. Il est possible que le Conseil Constitutionnel se déclare incompétent pour invoquer la Charte. Cette hypothèse semble cependant peu réaliste.

L’un des problèmes majeurs pourrait bien être le contrôle préalable des juridictions suprêmes. Le Conseil d’Etat pourrait éventuellement pratiquer cette même appréciation stricto sensu afin de ne pas renvoyer certaines lois devant le Conseil Constitutionnel.

Tel pourrait être le sort d’une saisine visant une loi relative à une transposition interne d’une directive communautaire contraire à la Charte de l’environnement.

Comme nous l’avons rappelé précédemment, la conscience politique est la potesta absoluta qui guide le juge constitutionnel. Le travail du praticien du droit devra donc introduire avec constance la conscience écologique et l’idée d’un développement durable comme droit et comme liberté pour parvenir à des décisions du Conseil Constitutionnel en accord avec les idées défendues par la Charte de l’environnement.

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