AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Publications internes 01 Mar 2019

La méthode d’analyse globale dans le contrôle de compatibilité opéré par le juge administratif entre les décisions individuelles et les documents d’orientation

 

Dans un arrêt du 21 novembre 2018[1], le Conseil d’Etat étend l’obligation d’analyse globale au contrôle de compatibilité entre une décision individuelle, en l’espèce une autorisation délivrée au titre de la loi sur l’eau[2], et un document d’orientation, ici un Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE).

 

Cette méthode d’analyse globale est déjà utilisée par le juge administratif dans le cadre du contrôle de légalité entre différents documents d’urbanisme puisqu’elle a été imposée par le Conseil d’Etat :

  • Pour le contrôle de compatibilité entre un plan local d’urbanisme (PLU) et un schéma de cohérence territoriale (SCOT)[3],
  • Pour le contrôle de cohérence entre les orientations d’aménagement et de programmation (OAP) et le projet d’aménagement et de développement durable (PADD) au sein d’un PLU[4].

 

Cependant, cette méthode fait l’objet d’une utilisation moins fréquente pour le contrôle de légalité des autorisations individuelles par rapport à des documents d’orientation.

 

On peut néanmoins citer, à titre d’exemple, le contrôle opéré par le Conseil d’Etat quant à la compatibilité d’une autorisation d’exploitation commerciale[5] avec un SCOT qui doit être appréciée au regard des orientations générales définies par ce schéma[6].

 

Dans cet arrêt du 21 novembre 2018, le Conseil d’Etat vise un autre type d’autorisation individuelle, celle délivrée au titre de la loi sur l’eau.

 

En l’espèce, le Conseil d’Etat reprend sa jurisprudence précitée relative à l’obligation faite au juge de procéder à une analyse globale, utilisée pour apprécier la compatibilité ou la cohérence entre différents documents d’urbanisme : « Pour apprécier cette compatibilité, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle de l’ensemble du territoire couvert, si l’autorisation ne contrarie pas les objectifs qu’impose le schéma, compte tenu des orientations adoptées et de leur degré de précision, sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard de chaque disposition ou objectif particulier ».

 

 

Pour le Conseil d’Etat, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en ne procédant pas à une analyse globale, cette dernière ayant fondé sa décision sur la confrontation de l’autorisation à une seule disposition du SDAGE et non à l’ensemble des orientations et objectifs qu’il fixe.

 

La méthode d’analyse globale est donc étendue à un nouveau domaine, celui du rapport de compatibilité entre une autorisation délivrée au titre de la loi sur l’eau et un SDAGE.

 

Au-delà de son cas d’espèce, cette décision pourrait présager d’une extension progressive de la méthode d’analyse globale à divers domaines, les collectivités territoriales devront, donc, être particulièrement attentives à cette extension à la fois pour le contrôle des documents d’urbanisme entre eux et pour le contrôle des autorisations individuelles par rapport aux documents d’orientation.

 

A ce titre, il convient de noter que la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 dite « loi ELAN » a habilité le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures afin « de limiter et simplifier à compter du 1er avril 2021 les obligations de compatibilité et de prise en compte pour les documents d’urbanisme » en prévoyant notamment « les conditions et modalités de cette opposabilité, notamment en supprimant le lien de prise en compte au profit de la seule compatibilité »[7].

 

Ainsi, en prévoyant de supprimer le lien de prise en compte au profit de la compatibilité, la méthode d’analyse globale devrait logiquement être étendue au contrôle de compatibilité prévue dans cette ordonnance à venir.

 

Cette extension de l’analyse globale apporterait aux collectivités une certaine marge de manœuvre puisqu’elle permettrait la validité de documents d’urbanisme qui ne seraient pas en adéquation à chaque disposition ou objectif, parfois contradictoires, fixé par les documents supérieurs[8], conformément à l’esprit de la notion de compatibilité défini par le Conseil constitutionnel[9].

 

A cet égard, on peut observer que les juges du fond mettent en œuvre la méthode proposée par le Conseil d’Etat [10].

 

Un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 22 janvier 2019 reprend la méthode d’analyse globale pour contrôler la compatibilité avec le SCOT d’un projet de mise en compatibilité d’un PLU pour l’extension d’une surface commerciale et la création d’un équipement public. En l’espèce, la cour constate que le document supérieur prévoit des objectifs suffisamment précis notamment en matière de prévention des risques inondation permettant de considérer que le projet de modification du PLU est incompatible avec le SCOT[11].

 

En outre, un autre arrêt de la même cour du 13 décembre 2018 précise qu’en raison de leur échelle territoriale, certaines dispositions d’un document supérieur ne peuvent faire l’objet d’une appréciation par rapport à un document d’urbanisme inférieur[12].

 

En conclusion, on peut voir dans ces applications de la méthode globale l’importance qu’il convient d’accorder d’une part à l’échelle du document d’orientation et d’autre part à la précision des objectifs et orientations proposés dans ce document.

 

 

 

[1] CE, 21 novembre 2018, n° 408175, Société Roybon cottages

[2] Autorisation prévue aux articles L 214-1 et suivants du Code de l’environnement pour les installations, les ouvrages, travaux et activités réalisés à des fins non domestiques ayant un impact sur les milieux aquatiques

[3] CE, 18 décembre 2017, n° 395216, Le Regroupement des organismes de sauvegarde de l’Oise et autre

[4] CE, 30 mai 2018, n° 408068, Commune de Sète

[5] L’article L 752-1 du Code de commerce prévoit que certains projets commerciaux sont soumis à une autorisation d’exploitation commerciale délivrée par la Commission nationale d’aménagement commercial

[6] CE, 12 décembre 2012, n° 353496, Société Davalex

[7] Article 46 de la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 dite « loi ELAN »

[8] L’appréciation de la cohérence entre le règlement et le PADD du PLU doit procéder d’une analyse globalisante, Pierre Soler-Couteaux, RDI 2018, page 403

[9] Voir en ce sens : Conseil constitutionnel, DC, 7 décembre 2000, n° 2000-436 et CE, 15 mai 2013, n° 340554, commune de Gurmençon

[10] Voir en ce sens : CAA de Lyon, 12 février 2019, n° 17LY01195

[11] CAA de Marseille, 22 janvier 2019, n° 18MA05132

[12] CAA de Marseille, 13 décembre 2018, n° 17MA03761