LETTRE DU CABINET – JUILLET 2017

LETTRE DU CABINET – JUILLET 2017

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Publications internes 20 Juil 2017

 

Comme vous avez pu le constater, nous n’avons pas rédigé de lettre du cabinet au mois de juin car dans le cadre de nos objectifs de qualité, la revue semestrielle de la jurisprudence obtenue par le cabinet a été adressée à nos clients et partenaires.

La prochaine revue interviendra en décembre à la place de la lettre du cabinet.

Vous souhaitant une bonne lecture et aussi un bel été…

 

L’encadrement du recours en résiliation des contrats administratifs à la demande des tiers

 

Par un arrêt rendu le 30 juin 2017[1], le Conseil d’Etat, abandonnant une jurisprudence ancienne[2], a poursuivi son œuvre de « recomposition des recours en matière contractuelle »[3].

Pour rappel, avec son arrêt « Département de Tarn-et-Garonne »[4], le Conseil d’Etat a ouvert aux tiers la possibilité de contester directement la validité d’un contrat administratif en plein contentieux en leur fermant corrélativement la voie du recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables antérieurs à la conclusion du contrat.

S’inscrivant dans l’épure du mouvement jurisprudentiel initié par cet arrêt, les juges du Palais royal ont, en l’espèce, clos la voie du recours pour excès de pouvoir contre la décision refusant la résiliation d’un contrat administratif et ouvert aux tiers la possibilité de solliciter, devant le juge du contrat, la cessation de la poursuite des relations contractuelles.

Soucieux d’assurer le meilleur équilibre entre les exigences de légalité, de l’intérêt général et de la stabilité des relations contractuelles, le Conseil d’Etat est venu strictement encadrer les conditions de recevabilité de ce nouveau recours et des moyens invocables[5].

Le glissement du recours des tiers à l’encontre des décisions de refus de résiliation vers le plein contentieux offre également au juge des pouvoirs plus étendus.

 

  • Sur l’encadrement de la recevabilité du recours des tiers :
  • Les délais :

Bien que l’arrêt n’apporte aucune précision à ce sujet[6], le délai de recours contentieux sera de deux mois à compter de la notification de la décision expresse de rejet de la demande de résiliation ou de la naissance d’une décision implicite de rejet[7].

 

  • L’intérêt à agir :

En cohérence avec la solution dégagée dans le cadre du recours en contestation de validité du contrat[8], ou en matière de référé précontractuel[9], la recevabilité de la requête est subordonnée à la démonstration par le tiers d’une lésion suffisamment directe et certaine de ses intérêts.

Selon le rapporteur public, « cette exigence s’appréciera au regard des conséquences pour les intérêts dont se prévaut le tiers de la poursuite de l’exécution d’un contrat » et les tiers « ne seront donc pas nécessairement les mêmes que ceux susceptibles d’être lésés par la conclusion du contrat ».

Alors que les tiers « naturels » du recours en contestation de validité du contrat seraient les candidats évincés, ceux du recours tendant à la résiliation du contrat seraient, notamment, les usagers du service public, les contribuables locaux et les associations[10].

Par ailleurs, il y a lieu de souligner que les « tiers privilégiés » (membres des organes délibérants concernés ainsi que le représentant de l’Etat), sont dispensés de la démonstration d’une telle lésion[11].

 

  • Sur le caractère limité des moyens invocables :

Toujours dans la mouvance jurisprudentielle développée en matière de recours en constatation de la validité du contrat et en référé précontractuel, le Conseil d’Etat encadre les moyens que les tiers peuvent utilement soulever à l’appui de leurs conclusions tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat.

Ainsi, les tiers dits « classiques » ne pourront soulever que des moyens tirés :

  • De ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à l’exécution du contrat du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours (changement des circonstances de droit immédiatement applicables) ;
  • De ce que le contrat est entaché d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office (caractère illicite du contenu du contrat, vice du consentement ou irrégularité d’une particulière gravité[12]).
  • Ou encore de ce que la poursuite de l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général. A cet égard, le Conseil d’Etat précise que les requérants peuvent se prévaloir d’inexécutions d’obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l’intérêt général.

En revanche, ces tiers ne peuvent se prévaloir d’aucune autre irrégularité et notamment celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision refusant de mettre un terme au contrat a été prise.

En outre, les moyens soulevés doivent, sauf lorsqu’ils le sont par les « tiers privilégiés », être en rapport direct avec l’intérêt lésé dont les tiers se prévalent.

 

  • Sur les pouvoirs du juge administratif :

Dans un obiter dictum, le Conseil d’Etat précise que « saisi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution d’un contrat administratif, il appartient au juge du contrat d’apprécier si les moyens soulevés sont de nature à justifier qu’il y fasse droit et d’ordonner après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, le cas échéant avec un effet différé ».

Ainsi, comme pour les recours de pleine juridiction tendant à la contestation de la validité du contrat ouverts aux tiers[13] et à la partie cocontractante[14], quand bien même les conditions tenant aux moyens invocables seraient remplies, le juge administratif dispose d’une importante marge d’appréciation pour décider de la résiliation du contrat ou de sa poursuite.

Dans l’hypothèse où, malgré l’irrégularité du refus de résiliation constaté par le juge du contrat, ce dernier décidait de la poursuite de l’exécution du contrat, il semble admis que le requérant puisse présenter des conclusions indemnitaires tenant à la réparation du préjudice que lui causerait le maintien du contrat[15].

 

*

Visant l’équilibre entre la légalité et la stabilité des relations contractuelles, le Conseil d’Etat ouvre aux tiers un recours de pleine juridiction tendant à la résiliation du contrat administratif d’une manière particulièrement encadrée.

D’une part, les tiers susceptibles de remplir les conditions de recevabilité et d’opérance des moyens seront essentiellement ceux porteurs d’intérêts généraux tels que les usagers du service public, les contribuables locaux ou encore les associations.

Si, de prime abord, ce nouveau recours semble pouvoir permettre aux concurrents évincés, ayant exercé sans succès un référé précontractuel, un référé contractuel où un recours en contestation de validité du contrat ou n’ayant exercé aucun recours, de contester à nouveau les modalités de passation durant l’exécution du contrat, l’encadrement des conditions de recevabilité et des moyens invocables a été pensé pour freiner de telles actions.

En effet, les concurrents évincés devront démontrer un intérêt suffisamment direct et certain à obtenir la résiliation du contrat « qui ne pourra pas toujours être tiré d’une remise en concurrence, notamment lorsque la personne publique peut recourir à d’autres modalités de satisfaction de ses besoins » mais surtout « les vices en rapport avec leur intérêt, qui sont essentiellement liés à la passation du contrat, ne seront plus opérant à l’encontre du refus de résilier »[16].

D’autre part, les situations pouvant justifier une résiliation juridictionnelle devraient être exceptionnelles dans la mesure où, comme l’indique le Rapporteur public, « les irrégularités d’ordre public sont heureusement rares, les changements de circonstances de droit immédiatement applicables aux contrats en cours également, (… et) l’atteinte à un intérêt général devrait être à la fois particulièrement manifeste et impérieux pour imposer la rupture d’un contrat légalement conclu (…) ».

[1] CE, 30 juin 2017, n°398445, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche.

[2] CE, section, 24 avril 1964, n°53518, Société des Livraisons industrielles et commerciales.

[3] Conclusions du rapporteur public Gilles Pellissier.

[4] CE, ass. 4 avril 2014, n°358994, Département Tarn-et-Garonne.

[5] Là encore dans une logique similaire à celle de l’arrêt « Département de Tarn-et-Garonne ».

[6] Pour rappel, le recours de pleine juridiction en contestation de validité du contrat est recevable dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement, par le pouvoir adjudicateur, des mesures de publicité appropriées.

[7] Règle d’application désormais générale : Article 10 du décret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative supprimant l’exception à cette règle en matière de travaux publics.

[8] CE, ass. 4 avril 2014, n°358994, Département Tarn-et-Garonne.

[9] CE, 3 octobre 2008, N° 305420, S.M.I.R.G.E.O.M.E.S.

[10] Conclusions du rapporteur public Gilles Pellissier (p.13).

[11] Même solution pour le recours en contestation de validité du contrat : CE, ass. 4 avril 2014, n°358994, Département Tarn-et-Garonne

[12] Dans ses conclusions, le Rapporteur public précise que les vices constitutifs de telles irrégularités ne doivent pas avoir été régularisés et que les manquements aux règles de passation ne feraient pas partie de ces irrégularités sauf lorsqu’elles sont susceptibles de recevoir une qualification pénale. Selon ce dernier, dès lors qu’il existe une voie de recours qui permet de remettre directement en cause l’existence même du contrat et les modalités de sa conclusion, pendant un certain délai, les tiers ne devraient pas pouvoir invoquer de telles irrégularités à l’appui du nouveau recours (p.9).

[13] CE, ass. 4 avril 2014, n°358994, Département Tarn-et-Garonne 

[14] CE, ass., 28 décembre 2009, n°304802, Commune de Béziers

[15] Conclusions (p.7)

[16] Conclusions (p.13).