De la prévention des conflits d’intérêts à leur répression

De la prévention des conflits d’intérêts à leur répression

Posted by Cabinet Gil-Fourrier & Cros in Publications internes 26 Avr 2018

Les efforts contemporains pour la moralisation et la transparence de la vie publique ne sont pas nouveaux. La loi « SAPIN » n°93-122 du 27 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, instituant la Commission de déontologie, en témoignait déjà.

C’est au rythme des affaires médiatiques que les lois visant à moraliser et encadrer la vie publique naissent, comme le montre encore l’adoption des lois du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique[i], suite à l’affaire Cahuzac.

La loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 (dite « SAPIN 2 »), faisant suite à la loi n°2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires[ii], s’était illustrée comme l’apogée de cette démarche, jusqu’à l’élection présidentielle de 2017 qui a relancé le débat.

Intégrée au sein des principes déontologiques devant être respectés par les élus locaux[iii] et les fonctionnaires[iv], la notion de conflit d’intérêts y occupe une place centrale et se définit comme « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés, qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction »[v].

Cette définition volontairement large a pour objet et pour effet de couvrir un maximum de situations.

Pour lutter contre les risques de conflit d’intérêts, il existe une palette de moyens préventifs qui, en cas d’échec, fait place aux moyens répressifs.

 

Au titre de la prévention, diverses mesures peuvent être recensées :

 

L’obligation d’abstention et le mécanisme de déport : le fonctionnaire doit veiller à faire cesser immédiatement ou à prévenir les situations de conflit d’intérêts dans lesquelles il se trouve ou pourrait se trouver. De ce fait, il doit saisir son supérieur hiérarchique pour que celui-ci décide de le dessaisir du dossier conflictuel[vi].

 

L’obligation de déclaration d’intérêts et de patrimoine à l’égard des parlementaires et des élus, remise à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, qui apprécie l’existence ou non d’un conflit d’intérêts. Cette obligation de déclaration pèse également sur certaines catégories de fonctionnaires, qui de par leur position hiérarchique et leurs fonctions, sont particulièrement exposés au risque de conflit d’intérêts. La Commission de Déontologie peut être saisie en cas de difficulté et vérifiera l’existence éventuelle d’un enrichissement anormal liée à la fonction occupée.

 

L’obligation de se consacrer exclusivement ou intégralement à ses fonctions.

 

Il est ainsi interdit pour un fonctionnaire, sous réserve de certaines exceptions particulières[vii] :

– d’exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit,

– de participer aux organes de direction de société ou d’association à but lucratif,

– de donner des consultations, de procéder à des expertises ou de plaider en justice dans les litiges intéressant toute personne publique (même devant une juridiction étrangère ou internationale), sauf s’il s’agit d’une prestation au profit d’une personne publique ne relevant pas du secteur concurrentiel,

– de prendre ou de détenir, directement ou par personnes interposées, dans une entreprise soumise au contrôle de l’administration à laquelle il appartient ou en relation avec celle-ci, des intérêts de nature à compromettre son indépendance,

– de créer ou de reprendre une entreprise lorsque celle-ci donne lieu a immatriculation au RCS, ou au répertoire des métiers ou à affiliation au régime micro-social des travailleurs indépendants, s’il occupe un emploi à temps complet et exerce ses fonctions à temps complet,

– de cumuler un emploi permanent à temps complet, avec un ou plusieurs autres emplois permanent à temps complet.

 

Le respect de la charte des élus locaux prévue par l’article L.1111-1-1 du code général des collectivités territoriales.

 

La répression par le délit de prise illégale d’intérêts.

 

La prise illégale d’intérêt est prévue et réprimée par l’article 432-12 précité. Elle est définie comme le fait de :

« prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».

L’interprétation proposée de cette infraction est très sévère dans la mesure où le juge judiciaire a une conception extensive des éléments constitutifs.

Sont visés par la prévention, les personnes dépositaires de l’autorité publique (fonctionnaires et officiers ministériels), les personnes chargées d’une mission de service public[viii], et celles investies d’un mandat électif (élus).

Il est sans importance que la personne en cause ait possédé un pouvoir de décision autonome et personnel, la simple participation à un organe délibérant, la préparation, la proposition ou la présentation d’un rapport ou d’un avis en vue de la prise de décision pouvant suffire.

L’intérêt lui-même est interprété de façon extensive, la réalisation de l’infraction ne nécessitant aucune intention frauduleuse. L’intérêt en cause ne réside pas seulement dans la perception directe ou indirecte d’un bénéfice ou avantage pécuniaire ou matériel, il peut être de nature politique, morale ou affective [ix]; il peut être personnel ou concerné celui d’un proche. L’absence d’intérêt peut suffire à caractériser l’infraction pour le simple abus de fonction.

 

Enfin, la jurisprudence pousse le caractère extensif jusqu’à considérer qu’une relation amicale ou professionnelle peut constituer un conflit d’intérêts potentiel et caractériser l’infraction. Tel était le cas d’un collaborateur de cabinet du maire, ayant participé à la préparation d’une décision d’attribution de marché, alors qu’il entretenait une relation amicale et professionnelle de longue date avec le gérant de la société[x].

Au-delà du risque pénal encouru, s’ajoute un risque d’annulation des décisions en cause dans les conditions prévues par l’article L. 2131-11 du Code générale des collectivités territoriales.

 

***

 

L’objectif partagé de mieux prévenir les conflits d’intérêts trouve un écho particulier avec la création du régime du fonctionnaire « Lanceur d’alerte », qui apparait comme un mécanisme de prévention par l’effet dissuasif qu’il peut inspirer.

La prochaine lettre du cabinet sera entièrement consacrée à cette nouvelle figure de la prévention des conflits d’intérêts et des atteintes à l’intérêt général dont le régime mérite d’être présenté autant qu’il mérite d’être discuté.

 

 

 

 

 

[1] Loi organique n°2013-906 et Loi ordinaire n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

[1] Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique et Loi n°2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires

[1] Art. L. 1111-1-1 du CGCT.

[1] Chapitre 5 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant statut général des fonctionnaires

[1] Art. 2 de la loi n°2013-907 du 11 octobre 2013, codifié à l’article 25 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant statut général des fonctionnaires.

[1] Article 23 bis loi 13 juillet 1983 modifiée

[1] Article 25 septies loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, modifiée par la loi n°2016-483 du 20 avril 2016 – art. 7.

[1] En 2013 la Cour de cassation a précisé que doit être regardée comme chargée d’une mission de service public, « toute personne chargée, directement ou indirectement, d’accomplir des actes ayant pour but de satisfaire à l’intérêt général, peu important qu’elle ne disposât d’aucun pouvoir de décision au nom de la puissance publique », cette qualité ayant été reconnue pour le directeur de l’association (Cass Crim. 30 janvier 2013 n°11-89-224).

[1] Cass Crim 22 octobre 2008 n°08-82.068.

[1] Cass Crim 13 janvier 2016 n°14-88.382.